Conceptions d’Antti Lovag

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Salle-à-manger dans une coque mobile, attenante à la cuisine, à Fontaines-sur-Saône (Antti Lovag)

Quel renouvellement de l’architecture peut-on attendre aujourd’hui pour concevoir des maisons ? Parmi les propositions les plus intéressantes, il y a certainement celles d’Antti Lovag. Elles sont encore peu connues. Antti est un concepteur discret qui s’est peu exprimé. On y trouve une mise en cause radicale de la contruction contemporaine. Tellement radicale qu’il a dû trouver les conditions concrètes de réalisation en dehors du domaine habituel du logement et des entreprises du bâtiment. Il a travaillé pour des clients fortunés qui lui ont permis d’expérimenter assez librement en disposant d’une équipe tous corps d’état. Son concept fondamental est l’habitologie qui dépasse la notion d’architecture.

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Habitologie im

Il a en effet choisi d’entrer dans la « troisième dimension ». C’est-à-dire qu’il a abandonné les plans d’espace à angles droits et les dessins de façade. Il a conçu et réalisé uniquement des habitations en coques de formes multidimensionnelles. Il n’était pas le seul dans les années 60. Mais il est sans doute l’un des seuls à avoir continué en développant ses recherches. Il a ainsi accumulé une somme d’expériences probablement unique dans la conception de ces volumes. Voir les autres articles de la rubrique HABITOLOGIE.

Antti disait souvent : « Ce n’est pas du tout une démarche esthétique ». (lire l‘Interview par François Chaslin). Pierre Bernard, l’un de ses principaux clients, disait cependant : «Tout ce que fait Antti est beau».  Il est évident que l’esthétique n’est pas absente, le soin qu’il apportait à la qualité des formes — et par la correction même des moindres défauts — en est la démonstration. Mais ce n’était pas le motif premier de la conception. L’objectif était l’habitologie.

Il a aussi mis au point des solutions techniques pour réaliser les coques. Le voile de micro-béton des années 60 donne toutes les libertés de forme, mais il coûte cher en main d’œuvre qualifiée, si l’on veut une bonne exécution. Pour mettre à la portée du plus grand nombre ce type de construction, il a conçu des coffrages légers pour obtenir d’emblée une excellente finition. La coque est constituée d’un matériau composite isolant, de mise en œuvre aisée. L’arrivée proche des machines de construction 3D change à nouveau la donne.

PAL bulles

Les formes ci-dessus sont celles de fin 70 début 80 à Théoule-sur-Mer. Elles changeront dans les projets des années 2000.  Les coques permettent de positionner des ouvertures dans presque toutes les directions. Les skydômes ont une fonction de ventilation particulièrement efficace dans la partie haute du volume habité, mais aussi et surtout une fonction d’éclairage «comme dehors» avec diverses inclinaisons qui privilégient le soleil du matin, celui de l’après-midi ou le plus rare, selon la destination de la pièce. La vue sur l’extérieur est donnée par les ouvertures basses, de taille variée, avec un «canon» plus ou moins long, qui sélectionne le point intéressant comme à travers un objectif grand angle ou un zoom.

La salle à manger ouvrante (fermée sur la photo du haut, ouverte dessous) donne un accès encore plus large sur l’extérieur.

L’habitation est conçue pour vivre au rythme de la lumière du jour et des saisons, comme une vaste horloge cosmique où le soleil marque les heures aux fenêtres. La pierre de la terrasse, l’eau du bassin et la végétation qui envahit la coque renforcent l’impression d’harmonie avec la nature.

Dessin MoatiUne caractéristique de conception distingue particulièrement Antti Lovag : les formes sont étroitement dépendantes des nécessités de l’habitant, une bulle pour chaque usage principal. Il y a interdépendance complète entre formes et fonctionnement. C’est sans doute ce qui constitue l’apport fondamental de ses constructions. Il s’agit en effet d’une conception globale de l’habitat. Ses recherches ont porté non seulement sur l’enveloppe (la coque), mais sur l’intégration à l’environnement, les huisseries, le mobilier et tout ce qui concerne le fonctionnement de l’habitation dans ses moindre détails.

Derniers projets
Extrait d’images 3D parmi les dernières études de maison par Antti Lovag avec Pierre Colleu. Les formes sont plus épurées que dans les années 80. Les coques sont réalisées sur des supports-moules recevant la projection des matériaux et démontés après chantier. Les skydomes sont installés sur une tourelle permettant le choix des orientations. P. Colleu indique : « Constructions personnalisées à partir de modules standards par Antti Lovag. » 

En regardant cette image, on peut mesurer le chemin parcouru par Antti depuis les années 80. Il a recherché l’essentiel : les formes des coques et les ouvertures mobiles, en donnant une possibilité de construction rapide de très bonne qualité de finition. Il a ajouté cette caractéristique nouvelle, l’orientation des skydomes placés sur une tourelle orientable, ce qui ajoute un avantage important : l’adaptation aux variations de position du soleil. Le skydome est comme un œil mobile qui offre d’autres lumières ou d’autres points de vue.

SàM ouvrante

Ses recherches, par exemple, en matière de mobilier intégré à éléments mobiles, ouvrent aussi des perspectives profondément nouvelles dans la manière d’habiter. Il estime que parmi les espaces de vie qui nécessitent le plus de recherche,  il y a ceux de la cuisine et de la salle à manger. En effet, une simple observation révèle la complexité et l’étroite imbrication des divers usages de la vie quotidienne. La cuisine sera donc conçue afin de limiter les gestes et les déplacements de la maîtresse (ou du maître) de maison.

Sur cette photo, un meuble central tournant (pour varier l’orientation du poste de travail en fonction des personnes présentes) contient la majeure partie de la vaisselle et des ustensiles dans des cylindres pivotants en acier inox. Le meuble abrite aussi le lave-vaisselle (invisible ici). L’ensemble est surmonté d’un plateau de travail en pierre avec plaque de cuison et d’un second plateau plus petit, qui sert de bar. L’hôte peut ainsi effectuer ses préparations tout en conversant avec ses invités. A droite, contre la coque, deux fours et deux réfrigérateurs. Au fond, devant la fenêtre, l’évier. La porte translucide donne accès à un escalier-cellier avec des rangements autour permettant le stockage des aliments.

Ici, on peu constater la proximité de la salle à manger: table ronde supportée par une potence fixée sur un pivot, plateau central tournant, banquette installée dans une coque ouvrante permettant de prendre les repas dedans ou dehors (lire aussi à ce sujet Habitat n°17).

Cette troisième photo donne la perspective qui s’offre aux convives. Au fond, à droite, le poële sphérique pour le feu de bois.

D’autres types d’aménagement ont été conçus par Antti. Tous sont inspirés par cette volonté de simplifier la vie des habitants tout en leur donnant de nombreuses fonctionnalités nouvelles. Certains ont pu hésiter à les accepter: l’innovation dans ce domaine bouleverse les habitudes. Leur utilisation comporte cependant un agréable aspect ludique qui ajoute du plaisir à leur aspect pratique.

Analyse comparative 

Les maisons-bulles d’Antti Lovag peuvent être passées au crible de certains historiographes de l’architecture. Leurs critères d’analyse ont été mis au point pour une étude esthétique d’objets architecturaux qui ne sont pas ceux de notre époque. Mais l’éclairage que leur utilisation projette, peut néanmoins être révélateur de sens.

Prenons l’exemple du schéma de travail de Paul Frankl, qui repose sur quatre analyseurs simples :

  • formes spatiales (espace intérieur);
  • forme corporelle (enveloppe tectonique);
  • forme visuelle (apparence optique);
  •  destination.

Espace intérieur  – Dans une maison-bulle, l’espace intérieur est structuré par le mobilier et les espaces de circulation. Le mobilier est conçu pour économiser les gestes et les déplacements. La recherche des formes pratiques conduit à l’élimination des angles et à la conception d’espaces centrés favorables à la vie de groupe. Partant de là, les circulations suivent les courbes du mobilier. Des couloirs curvilignes peuvent relier les divers nodules de vie (séjour, chambres, etc…), en sauvegardant leur intimité.

Enveloppe tectonique –  L’extérieur est la traduction de l’intérieur. Il n’y a plus de distinction entre murs et toiture. Il s’agit d’une coque qui assure les deux fonctions, en continu. Elle permet d’éliminer là aussi tous les angles généralement inutiles et peu accessibles. Sa fonction est de circonscrire et protéger l’espace de vie. Sa forme conçue pour éliminer matière et surfaces inutiles est celle des surfaces minimales (bulles de savon) ou celle d’organismes vivants (loi d’économie et de moindre action). Elle est autoportante et antisismique. Sans la contrainte d’une façade plate, les ouvertures sont orientées librement avec trois fonctions: capter la lumière zénithale ou d’inclinaison diverse (en fonction de l’usage de la pièce), ventiler le plus efficacement à partir du haut de la portion de sphère et offrir enfin les points de vue intéressants sur l’extérieur.

Forme visuelle – L’aspect intérieur donne une impression de paroi continue, sans rupture, ni agressivité angulaire. La portion de sphère enveloppe, sans enfermer. Les trouée de lumière et de vue nous mettent en position d’observateur protégé et naturellement tourné vers l’extérieur. Les perspectives intérieures non linéaires atténuent les repères de dimension et créent une impression d’ampleur. Comme dans tout espace délimité par des courbes, chaque déplacement entraîne des modifications sensibles de perspective. Ce qui contribue à créer une impression de variété inépuisable.

Destination – Pour Paul Frankl, c’est l’élément hétérogène après les aspects formels: il ne s’agit que de la destination d’un espace architectural, autrement dit l’usage pour lequel il est conçu. Dans la logique particulière des maisons-bulles, cet analyseur devrait être le premier. C’est lui qui doit déterminer les formes, leurs dimensions et toute l’organisation de l’espace. On comprend que les trois premiers éléments d’analyse découlent de la juste appréciation du quatrième, c’est-à-dire des nécessités et du confort des habitants. Le schéma d’analyse fonctionne donc plutôt mal. On est évidemment à l’opposé d’une conception architecturale qui privilégie l’aspect esthétique au dépend de l’usage.

En ce qui concerne l’aspect symbolique que les successeurs de Frankl ont développé, on peut dire qu’il est étranger aux maisons-bulles. Mais il y a évidemment une symbolique implicite, comme dans toute œuvre. Elle réside ici dans la juste adaptation et l’intégration à la nature, analogue à celle d’un être vivant.

C.R.

Voir

Antti Lovag : interview sur France Culture

One thought on “Conceptions d’Antti Lovag”

  1. Suite aux terrible événements cycloniques connus récemment à Saint Barthélémy et Saint Martin, cette conception d’habitation me semble la plus adaptée pour des régions cycloniques ou à tendances à subir d’éventuels cyclones, donc je m’y intéresse car j’habite en Polynésie Française où nous avons connu une succession de cyclones en 1983, mais des cyclones de moindre importance que ceux de Saint-Barte. Mon souhait est bien sûr que les lois du pays en vigueur sur les normes d’habitation permettent aux Polynésiens de construire ce genre d’habitation. Loin de vouloir bâtir un palais comme celui de Monsieur Cardin, j’espère avoir le droit et pouvoir réaliser une maison de 3 chambres et 3 salles d’eau pour mes besoins d’habitation personnels. Je souhaite trouver sur internet des sites avec des descriptifs des matériaux utilisés par Monsieur Antti Lovag pour la réaliser de ses maisons bulles. Merci pour toutes vos informations.

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