Antoine Gaudet

Ami et client d’Antti Lovag, Antoine Gaudet est à l’origine de l’une des premières maisons en voile de béton à Tourrettes-sur-Loup.

Cette vue aérienne des bulles de Tourrettes-sur-Loup circule sur Facebook. Elle est très intéressante, car elle révèle bien l’extérieur de cette grande villa créée par Antti Lovag pour Antoine Gaudet et continuée par son successeur. Rappelons que cette architecture est conçue de l’intérieur pour mieux vivre. L’extérieur en est la traduction sans recherche autre que la qualité de finition et de l’environnement : le contraire de beaucoup d’architectures qui sont des manifestations de pouvoir du propriétaire face à la société. Antti disait ne pas « faire le trottoir ». Il a abandonné les espaces à angles droits et les dessins de façade à destination des passants. Il disait : « Ce n’est pas du tout une démarche esthétique». Pierre Bernard, l’un de ses principaux clients, déclarait cependant : «Tout ce que fait Antti est beau». Il est évident que l’esthétique n’est pas absente, le soin qu’il apportait à la qualité des formes et à la correction même des moindres défauts en sont la démonstration. Mais ce n’était pas le motif premier de la conception. L’objectif était l’habitologie (un nouveau mot adopté), c’est-à-dire, en résumé, l’interdépendance complète entre formes et fonctionnement.
Gaudet
Extrait de Habitat n°19

Libres  propos d’Antti Lovag

Extrait de Habitat N°23, publié en 2003

Un appel inattendu par téléphone en 1967, a suscité la première habitation en coque sur la Côte d’Azur, à Tourrettes-sur-Loup.

J’étais absent. Le collaborateur qui a pris le message m’a dit: «Quelqu’un t’a appelé. Il voudrait réaliser votre œuvre commune». J’ai pensé que c’était une blague. Nouvel appel à 21 heures. J’ai dit à celui qui avait appelé précédemment :

— Tu te fouts de ma gueule !

— Ah, non ! Pas du tout, Monsieur.

C’était Robert Antoine Gaudet. Financier très sollicité, il ne comprenait pas : il demandait quelque chose, on ne le prenait pas au sérieux. On s’est rencontré à 22 heures, le même jour, et, à minuit, on était copains pour toujours.

Quelques jours auparavant, il avait vu exposée une maquette d’habitation de formes courbes, qui l’avait beaucoup intéressé.

Je lui ai demandé s’il était modeste. Il m’a répondu : « Je ne suis pas modeste. Tous mes amis ont des châteaux des XVe, XVIe ou XVIIe siècle. Si je fais un château contemporain, je fais mieux ».

Pour qu’une chose s’impose dans le public, il faut qu’elle fasse envie. Il est nécessaire de faire des constructions prestigieuses. Construire pour quelqu’un de riche va susciter le désir de faire comme lui. C’est aussi la condition nécessaire pour faire des essais, sans ruiner ceux qui n’en ont pas les moyens.

Quelques mois plus tard, nous construisions, sur un vaste terrain, à Tourrettes, une maquette à l’échelle 3/4 d’une petite habitation en courbes. C’était une grande maquette, car il faut expérimenter les espaces et les formes quand on ne sait pas quel sera le résultat. Cela permet aussi de tester les matériaux. Nous avons ensuite construit pour Robert Antoine Gaudet une grande habitation qui n’est pas terminée. Il est âgé, il veut maintenant la céder.

La question que l’on me pose souvent, c’est: « Pourquoi des formes courbes ? »

Il y a bien sûr plusieurs explications.

C’est d’abord pour le plaisir de ces formes, pour susciter d’autres sentiments. Les formes habituelles des maisons ne sont pas satisfaisantes. Une parois plane reçoit intégralement la lumière. Avec les angles, cela crée une telle agressivité que, pour moi, c’est insupportable.

Quand on entre dans une maison vide à angles droits, à quoi pense-t-on ? Que va-t-on mettre dedans? Il faut coller des papiers peints. Il faut accrocher des rideaux. Il faut mettre une armoire et d’autres meubles. N’importe quoi pour « tuer » ces parois planes. Je ne comprends pas, par exemple, que l’on utilise ces formes dans un hôpital où l’on soigne les gens…

J’ai besoin des ondulations. Les formes courbes laissent courir la lumière en un dégradé qui exprime la douceur et le confort. Regardez la nature, c’est quelque chose d’extraordinaire, tout bouge, les formes à angles droit n’y existent nulle part.

Une autre explication découle de la précédente : ces formes correspondent mieux à l’usage. Notre corps est constitué de courbes. Nos gestes et nos déplacements tracent des courbes. Quand on marche, au niveau des pieds, on a besoin de peu d’espace au sol. C’est à hauteur des bras qu’on a besoin de plus d’espace. Moins au dessus des épaules. L’usage détermine la forme pour de nombreux ustensiles : assiettes, bols, verres, bouteilles, tonneaux, etc… Pourquoi pas pour nos habitations ?

L’esthétique, je ne sais pas ce que c’est. Ce qui m’intéresse, c’est l’homme. Comment il vit, de quoi il a besoin pour habiter, pour travailler, pour être heureux. On ne connait qu’en partie l’être humain. Mais je sais que celui d’aujourd’hui n’est déjà plus celui d’hier. Ce que je cherche, c’est comment l’homme actuel peut et devrait habiter aujourd’hui. Pas l’homme en général qui n’existe pas, mais les individus. Chacun doit faire sa maison.

Je ne me considère pas comme architecte, je veux être habitologue.

Cela exige l’analyse de ce qui constitue la vie quotidienne dans toute sa complexité. Prenons l’exemple de ce qui se passe au moment du coucher. Avant d’entrer dans la chambre, on se déshabille et on procède à sa toilette. Au réveil, c’est le processus inverse. Cela conduit à concevoir un enchaînement des espaces qui correspondent à ces nécessités : en venant du séjour, on passera au vestiaire, puis à la salle de bain et ensuite à la chambre. Le respect de cet ordre permet aussi à celui qui se lève de très peu déranger celui qui reste couché; il n’a pas besoin, une fois sorti du lit, de rentrer dans la chambre pour prendre des vêtements ou de la traverser après avoir fait sa toilette.

En ce qui concerne l’espace de séjour, un salon-salle à manger peut être installé dans une coque qui s’ouvre sur une terrasse. Cela permet les repas et la détente, dedans ou dehors, sans transport de meubles ou de couverts. C’est l’ensemble table-sièges et convives qui se déplace en même temps. Des coques et des meubles articulés offrent une plus grande diversité d’usages.

Il faut des ouvertures rondes ou ovales, car découper des rectangles dans une sphère ou des éléments sphériques, c’est complètement illogique. Les ouvertures skydome donnent beaucoup plus de lumière et permettent de ventiler efficacement. Une fenêtre ovale correspond au champ de vision de nos deux yeux. Toutes les ouvertures sont soigneusement orientées et cadrées par simulation, pendant la construction, en fonction du point de vue intéressant et de la position du soleil, selon les saisons, pour éviter la chaleur excessive.

L’habitation est l’enveloppe de nos besoins. Elle doit être conçue pour vivre à l’intérieur. L’extérieur peut n’être que le résultat des choix internes.

Dans ces constructions, la technique d’exécution est évidemment déterminante. Pour moi, la technique stimule l’imagination. L’évolution industrielle a créé l’acier, le verre, le béton, mais on persiste à les utiliser en copiant la pierre et le bois. Quelquefois on les utilise pour des formes plus libres et défiant la pesanteur, mais c’est pour des constructions exceptionnelles et rarement pour des habitations.

Je me demande pourquoi on continue, avec les coffrages, à faire presque toujours des murs plats en béton, alors que ce matériau est malléable. Les formes courbes donnent pourtant plus de résistance aux matériaux. Elles permettent de diminuer le poids. Sur le marché, on trouve surtout des panneaux plats de bois, de plâtre, de métal, de verre et de matériaux synthétiques, alors que les techniques actuelles permettent toutes les formes. La conception en 3D sur ordinateur et l’exécution des formes par de nouvelles machines-outils donnent maintenant toutes les libertés nécessaires. Des robots analogues à ceux de l’industrie automobile peuvent construire des habitations nouvelles.

Quand je regarde en arrière le chemin parcouru durant plus de trente ans de construction de coques et que je considère le présent, je mesure combien peu de gens bénéficient de ces habitations. Mais le passé ne m’intéresse pas. Il faut avoir le goût de l’aventure. C’est le présent et l’avenir qui comptent. Pour progresser, les investisseurs sont nécessaires, car il faut créer des laboratoires de recherche afin d’améliorer la conception et les techniques de ces constructions. Il faut surtout que toujours plus de gens en fassent l’expérience. Car c’est en y vivant que l’on peut en ressentir le confort et l’agrément.

Propos d’Antti Lovag  recueillis pour le magazine américain NEST, n°20, de mars 2003, et publiés en anglais.

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