Nous vivons une période de contrastes étonnants. Le développement des sciences et des technologies donne la possibilité de réaliser les formes les plus originales et d’apporter des solutions à des problèmes pratiques défiant l’imagination peu d’années auparavant. Citons pêle-mêle les bâtiments de très grande hauteur, de plusieurs centaines de mètres, de formes courbes ou à déformations complexes, la Géode, le viaduc de Millau, le tunnel sous la Manche, les constructions de Santiago Calatrava, etc…Sans oublier les constructions spectaculaires en aéronautique, astronautique, automobile, nautisme et quelques objets de la vie courante notamment dans les nouvelles technologies.
En revanche, le secteur de l’habitat individuel reste étonnamment timoré, quand il n’est pas franchement rétrograde. Ce qui n’est pas sans conséquence même sur les constructions prestigieuses auxquelles nous venons de faire allusion. Un architecte ou un ingénieur qui n’a pas eu l’occasion de se confronter aux solutions de la vie quotidienne dans la conception et la réalisation des petites habitations ne maîtrisera pas toujours les implications d’un grand projet concernant le vécu quotidien. La construction spectaculaire vue de l’extérieur pourra se révéler invivable à l’intérieur ou d’une banalité attristante.
Depuis plus de vingt ans, nous œuvrons pour un renouvellement des habitations. Les investisseurs sont rares dans ce domaine. En attendant les machines d’impression tridimensionnelle, plusieurs procédés ont déjà permis de réaliser des habitations incontestablement réussies et peuvent toujours être utilisés, d’autres procédés n’ont pas dépassé le stade des premiers essais. Voici un rapide panorama comparatif de ce qui est possible.
Cliquer sur les illustrations pour un meilleur affichage.
Le voile de béton ou ferrociment
Le voile de béton est utilisé en Europe pour des habitations depuis 1959. Pascal Haüsermann a été l’un des premiers à employer des « coffrages perdus » intégrés à la coque. Il s’agit de grilles légères attachées directement sur le ferraillage. Elles retiennent le micro-béton projeté et restent prises dans la paroi. Dans ce procédé, ce n’est plus un coffrage en bois qui détermine la forme, comme pour les coques construites jusque là, mais le ferraillage lui-même. On utilisera ensuite des supports ou gabarits pour disposer avec régularité le ferraillage et réaliser des formes précises. Antti Lovag a mis au point un ferraillage et un jeu de gabarits très élaboré. L’isolation thermique a été réalisée soit en mousse de polyuréthane projetée, soit en éléments de polystyrène, puis enfin en béton léger à granulats de polystyrène. La peau extérieure a été d’abord réalisée en stratifié de résine-verre, puis en voile de béton avec peinture d’étanchéité armée d’un tissu.
Pour – Très grande variété des formes réalisables, solidité des coques avec un ferraillage et un bétonnage corrects.
Contre – Longue durée de main d’œuvre, technicité du ferraillage et bétonnage régulier difficile. Risque de micro-fissures nuisibles à l’étanchéité dans certains cas, ce qui entraîne au début un entretien du voile de béton extérieur par un pontage avec un tissu léger et reprise de l’étanchéité.
Béton fibré et polystyrène sur moules en modules
Antti Lovag, avec la coopération de Martine Jovine et Pierre Colleu, a conçu des moules en stratifié résine-verre destinés à réaliser des coques en béton fibré et isolant polystyrène. Ces moules sont dessinés en 3D sur ordinateur
Pour – Mise en œuvre facile des moules, en principe, coque solide et légère, isolation thermique et étanchéité efficaces.
Contre – Conception et mise au point des moules exigeant un investissement financier, aspect standardisé malgré la diversité.
Projection sur moule en textile élastique
Pour réduire les durées de main d’œuvre dans la construction de coques, l’utilisation d’un textile élastique avec mise en forme à l’aide de gabarits a fait l’objet de plusieurs essais par Antti Lovag et Philippe Mousset. La rigidification du textile afin de l’utiliser comme un moule contact a été expérimentée avec plusieurs matériaux. Il est nécessaire avec certains textiles de bloquer l’élasticité par un encollage. Après le plâtre fibré, sensible à l’humidité, employé il y a quelques années, la coque devrait être constituée de mortier fibré avec isolant. Les formes à double courbure, tantôt rétractées entre les supports, tantôt dilatées par la structure courbe ont une remarquable diversité d’aspect.
Pour – Rapidité de mise en œuvre, formes «artistiques».
Contre – Maîtrise difficile des formes qui ne correspondent que partiellement à l’usage.
Plastique moulé et mousse isolante
L’une des premières maisons-coques entièrement en plastique a été présentée en 1956. Elle est l’œuvre de Ionel Schein, Yves Magnant et Coulon. Plus de 70 prototypes de maisons en plastique seront recensés de 1956 à 1971. Des cellules autonomes en résine et fibres de verre sont expérimentées par Pascal Haüsermann, Claude Costy, Chanéac et Antti Lovag. L’une des habitations en plastique, complètement achevée, est celle des designers Pierre Colleu et Martine Jovine dans la Drôme (1990). Elle est constituée d’une double coque en résine-verre et d’une isolation en mousse.
Pour – Matière plastique.
Contre – Matière plastique.
Voile de béton avec moule gonflable
Il existe plusieurs procédés de coques en voile de béton réalisées avec un moule gonflable. En général, un tissu enduit, découpé et assemblé en portion de sphère, est gonflé et maintenu sous pression. Le compresseur d’air est à double sécurité pour éviter les surpressions et compenser les pertes de pression. La coque doit rester sous pression pendant tout le chantier de ferraillage et jusqu’au séchage du béton. Les ouvertures sont découpées dans la coque. Il faut une membrane pour chaque coque, quand elle reste en place et sert d’étanchéité.
Pour – Bel aspect de finition extérieure.
Contre – Peu de diversité possible en raison des contraintes de la membrane, inconvénients du voile de béton sans la variété.
Construction avec gabarits glissants
Dans ce procédé, on utilise un élément correspondant à une portion de la coque, dont le retrait et le déplacement (à l’aide de vérins hydrauliques, par exemple) va permettre de former progressivement toute la coque. Sur les illustrations, l’axe des pivots est à l’horizontal pour une forme sphérique, mais il pourrait aussi être vertical dans l’alignement des pôles pour des ovoïdes ou sphéroïdes. Ce gabarit mobile, pivotant sur des supports et glissant successivement le long de la paroi courbe après chaque moulage, constituera ainsi à chaque fois une partie de la forme à réaliser. Les ouvertures (portes, fenêtres, passage entre coques) devront être positionnées sous formes de gabarits particuliers, maintenus en place au sol ou en partie haute à l’aide, par exemple, d’un portique-échafaudage, ce qui permettra de réaliser leur contour précis au fur et à mesure de la construction de la coque. (Voir Habitat 25)
Parmi de nombreux autres procédés…
Importante durée de main-d’œuvre pour ce Dôme en bambou
Après les coupoles en pierre et en maçonnerie des siècles passés et même à notre époque (voir les constructions de Fabrizio Carola), on a vu différents matériaux utilisés pour des formes plus ou moins courbes. Il existe, par exemple, des habitations en bois à structures courbes, des coques en mousse isolante renforcée.
Mais l’une des formes les plus connues et les plus spéctaculaires est celle des dômes géodésiques. Ces formes de surfaces polygonales datent de plusieurs siècles. On en trouve dans les dessins de Léonard de Vinci. Mais c’est Richard Buckminster Fuller (1895-1983) qui est le constructeur de l’un des premiers dômes géodésiques. Ceux-ci sont constitués de structures en réseaux polyédriques, recouvertes d’une enveloppe. Les éléments peuvent être produits en série. L’aspect extérieur de ces dômes est en général à facettes triangulaires ou hexagonales et pentagonales. Ils peuvent couvrir des surfaces considérables sans support.
Buckminster Fuller a construit à Baton Rouge, en Louisiane, un dôme de 117 m de diamètre (1958). Il envisageait des dômes de plusieurs kilomètres. La Géode à Paris, est l’un des rares exemples de dôme géodésique à enveloppe sphérique en inox. Ce procédé a l’avantage d’être très économe en matière: la structure fonctionne selon le principe d’équilibre de «tenségrité» qui est un principe organisateur central du monde physique dans son entier. Les molécules de carbone sphériques à l’échelle atomique ressemblent, par exemple, à des ballons de football. On les a baptisées des fullerènes, en référence à Buckminster Fuller. Autre exemple: les molécules d’argile s’arrangent aussi entre elles suivant des motifs de tenségrité.
Voir un constructeur de structures insolites en France.
Quel avenir ?
Il est probable que, dans les prochaines années, on va assister à la coexistence de plusieurs procédés de construction. L’impression tridimensionnelle nécessite la mise au point de machines qui ne seront pas toujours d’accès facile. Par contre, les autres procédés peuvent davantage correspondre à certaines situations.
Pour faciliter le choix, il faudra continuer à échanger les informations et les expériences. La connaissance des constructions antérieures peut éviter de refaire les mêmes erreurs.
C.R.
Super article Christian. Mettras tu tous les articles des divers numéros sur ton site un jour ?
Les numéros d’Habitat plus anciens ont été réalisés avec d’autres procédés d’impression. Certains ont un intérêt technique particulier pour construire. Nous pouvons les fournir sur papier, parfois en photocopie. La vente finance (très modestement) le site internet.
Comme souvent un billet très instructif. Merci ne serait-ce que d’avoir pris le temps d’écrire ces quelques lignes. Au plaisir de lire le prochain article . Jérémy de http://www.seo-rennes.org/
Voilà donc un bon article, bien passionnant. J’ai beaucoup aimé et n’hésiterai pas à le recommander, c’est pas mal du tout ! Elsa Mondriet