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Les maisons-bulles surprennent par leurs formes courbes. Nous allons voir cependant que ce type de formes pourrait bien être un vieux rêve de l’humanité.
Les premières maisons-bulles, analogues à celles qui existent aujourd’hui, ont été construites dans les années 60 (Habitat n°23). Mais leur apparition correspond à l’émergence particulière d’un véritable courant d’intérêt pour ce type de formes dont on peut retrouver les traces à travers les siècles. On peut résumer l’enchaînement dans le temps des formes courbes.
En matière d’ambiance, la préférence pour les volumes intérieurs à voûtes ne suscite guère de discussion. L’intérêt pour les formes courbes de la construction se retrouve partout et à toutes les époques.
Aux temps préhistoriques, des huttes de branchages étaient construites sur un plan circulaire: des pierres servant à bloquer des branches fichées dans le sol ont été retrouvées sur des sites archéologiques. Des habitations rondes existent sur la plupart des continents, notamment en Afrique.

Les coupoles et les voûtes en pierre, en briques, en terre crue (en Afrique, par exemple, et dans les pays nordiques, le goahti), creusées dans la roche, en neige ou même en textile (la yourte en feutre) existent parfois depuis plusieurs millénaires.

« Les premiers exemples de salles circulaires couvertes par une coupole font appel, comme toutes les voûtes primitives, à la technique de l’encorbellement, procédé consistant à donner à chaque assise une légère saillie par rapport à l’assise inférieure. (…) Les couvertures de ce type ont été en usage dans toutes les parties du monde , aussi les trouve-t-on dans l’architecture précolombienne comme dans celle de l’Inde ou dans les constructions de la protohistoire européenne. Les réalisations les plus grandioses dues à cette technique sont sans conteste les tombes mycéniennes édifiées au XIVe siècle avant notre ère.



C’est l’invention par les Romains de la maçonnerie en pierres et briques, liées avec un mortier, qui a permis les premières grandes voûtes et les premières grandes coupoles. Celle du Panthéon de Rome (près de 2000 ans) a un diamètre intérieur de 43,40 m. De nombreux édifices de culte musulman dans le monde entier sont surmontés d’une coupole. En Occident, on en trouve à l’époque carolingienne pour les églises et les palais (le dôme d’Aix-la-Chapelle: 14,50 m), puis dans l’architecture romane.

Les nervures saillantes de certaines coupoles romanes (église Saint-Blaise d’Oloron, Hautes-Pyrénées), « dénotent une influence de l’Espagne arabe, qui ne sera pas sans inspirer l’architecture gothique.» (Jean-Pierre Adam). Les architectes byzantins, romans et gothiques ont utilisé la voûte, car elle seule permettait la couverture des vastes espaces des basiliques et des cathédrales qui dépassaient les possibilités des poutres en bois sur murs et colonnes. « C’est l’Italie du XVe siècle qui va revenir aux coupoles monumentales en faisant construire par Brunelleschi la coupole de la cathédrale de Florence (1420-1434). » Chaque assise d’une coupole constituant une petite voûte annulaire, il est possible de monter une coupole entière en s’aidant de cintres partiels que l’on retire dès qu’une assise est bouclée.
Au XIXe siècle, l’invention du béton armé transforme la construction. L’activité de l’industrie métallurgique pour le bâtiment avec la fabrication des «produits longs» va générer des formes avec des lignes droites et des assemblages à angles droits. Les courbes deviendront plus rares qu’à l’époque des constructions en pierre.
Au début, le béton armé imite la construction en pierre, puis la structure poteau-poutre de l’architecture métallique. Très vite apparaissent les dalles qui couvrent de grandes surfaces, puis les dalles-champignons où les colonnes porteuses se terminent par un cône qui fait corps avec la dalle et permet de supprimer les poutres.

En 1924, en pleine période de ce qu’il appelle « le cube prison, panacée universelle », Kiesler conçoit deux maisons sphéroïdales et développe le principe de sa «Maison sans fin»: « C’est durant les années 24-25, dans le Vienne des valses de Strauss et dans le Paris des beaux-arts, que je supprimai le séparatisme dans la construction de la maison, c’est-à-dire la distinction entre le plancher, les murs et le plafond, et créai avec le plancher, les murs et le plafond un continuum unique. » Kiesler construira très peu.
Matériau malléable, le béton se prête à toutes les formes. Mais le coût des coffrages en bois est important pour des formes courbes. La découverte des « coffrages perdus », c’est-à-dire d’une retenue incorporée à la coques permet une très grande variété de formes; il s’agit ici de treillis métalliques attachés au ferraillage et qui retiennent le micro-béton lors de la projection.
La construction de coques en voile de béton de faible épaisseur est facilitée par l’invention des pompes. Le béton est transporté dans des tuyaux sous pression et projeté avec un pistolet sur le ferraillage qu’il permet d’enrober. De nombreux types de pompes existent.

De 1910 à 1940, les plus importantes constructions en béton de formes courbes seront l’œuvre d’ingénieurs. Pier Luigi Nervi (1891-1979) procède d’abord dans son travail à l’invention de la forme, puis à la construction d’une maquette et enfin soumet ce modèle à des épreuves de calcul et de poids. Il corrige ensuite la forme en fonction du résultat des expériences.
L’une des premières maisons-coques entièrement en plastique, depuis la structure jusqu’aux meubles, la «Maison Escargot», est l’œuvre de Ionel Schein, Yves Magnant et Coulon. Elle est présentée à l’exposition des Arts ménagers en 1956 à Paris. Des cellules autonomes en résine et fibres de verre sont expérimentées par Pascal Haüsermann, Claude Costy, Chanéac et Antti Lovag. Chacun conçoit ses modules qui sont combinables avec ceux des autres, afin de créer la diversité (Habitat évolutif). La fabrication en est abandonnée faute de demandes. Plus de 70 prototypes de maisons en plastique sont recensés de 1956 à 1971 (Techniques et Architecture, 1971).

L’une des habitations en plastique, complètement achevée, est beaucoup plus récente, c’est celle des designers Pierre Colleu et Martine Jovine, dans la Drôme (1990). Parallèlement, se développent des structures gonflables: abris de radars, de piscine, de courts de tennis, salles de spectacles et même habitations. Le spécialiste le plus connu de ces systèmes pneumatiques en France est Hans Walter Muller (1935-).

L’une des premières habitations en voile de béton, une maison de week-end, est réalisée en 1959 par Pascal Haüsermann (1936-2011), alors qu’il est encore étudiant en architecture. La mise en forme de la coque est faite directement avec le ferraillage sur lequel est attaché un grillage qui sert de coffrage perdu et retient la projection de micro-béton. L’absence de coffrage en bois réduit considérablement la main-d’œuvre d’exécution et permet toutes les libertés de formes.
Deux tendances vont très vite apparaître.
• Il y a ceux qui veulent réaliser une œuvre d’art, analogue à l’expression personnelle du sculpteur, Michel Ragon nomme cette pratique «architecture-sculpture»; les nécessités de l’usage se combinent avec une expression artistique. La difficulté est de poursuivre deux objectifs en même temps: il y a le risque de n’atteindre ni l’un ni l’autre.
• Enfin, il y a ceux pour qui la forme découle de la fonction. C’est le fonctionnalisme moderne, mais débarrassé de l’utilitarisme orthogonal apparu au début du XXe siècle. La diversité des usages génère la diversité des formes, comme chez les êtres vivants, les organes sont le résultat de l’adaptation à la fonction. L’expression formelle ou artistique, dans ce cas, est le résultat de la variété nécessaire: elle est obtenue par surcroît, sans en avoir été le but. Mais elle est souvent bien présente, au point que certains se méprennent sur le but poursuivi en qualifiant ces œuvres de sculptures.
Le partage des créateurs de maisons-bulles entre ces deux tendances n’est pas toujours constant, certains relèvent un moment de l’une, puis ensuite de l’autre.
Parmi les créateurs de l’ architecture-sculpture, il faut mentionner André Bloc, Jacques Couëlle, Pierre Szekely, Daniel Grataloup, Peter Vetch.
Mais le créateur qui a le plus contribué au développement des maisons-bulles est incontestablement Antti Lovag (1920-2014). Durant plus de cinquante ans, il se consacre totalement à leur conception, à leur réalisation et à la formation aux techniques de construction. Collaborateur de Jacques Couëlle pendant quelques années, il conçoit des formes très différentes et beaucoup plus fonctionnelles. Il ne se considère ni artiste ni architecte, il se dit «habitologue». Il avait conscience dans ses recherches de travailler pour le futur, mais avec des techniques encore artisanales et à longue durée de main-d’œuvre, alors qu’il prévoyait l’arrivée des robots 3D. C’est un créateur de maisons-bulles d’importance majeure qui préfigure l’évolution de l’architecture.
C.R.
Habitat n°23 version téléchargeable